Un pauvre homme, tous les matins, allait remplir à la rivière, deux grosses jarres qu’il portait aux deux bouts d’un bâton de fer posé au travers de sa nuque.
Celle de droite était parfaite, joufflue, luisante, fière d’elle. Celle de gauche était fêlée. Elle perdait son eau en chemin, et donc elle s’estimait mauvaise.
Elle en souffrait. Elle avait honte, tellement honte qu’un beau jour elle osa dire, tout en pleurs :
« Pardonne-moi, pauvre porteur.
– Te pardonner ? répondit l’homme. Pourquoi donc ? Qu’as-tu fais de mal ?
– Allons, tu sais bien, chaque jour tu nous emplis d’eau à ras bord, tu t’échines, tu t’exténues à nous porter à la maison et, quand enfin nous arrivons, ma compagne a fait son devoir, elle a la conscience tranquille. Moi, non. Je sens qu’elle me méprise.
J’aimerais être comme elle, mais vois, je suis vide à moitié, et tu dois m’en vouloir beaucoup.
– Oh non, au contraire, dit l’homme. Regarde le bord du chemin, de ton côté. Qu’est ce que tu vois ?
– Des fleurs partout. Elles sont superbes.
– L’eau que tu perds, jarre fendue, les arrose tous les matins. Tous les matins elles te bénissent, et moi je te bénis aussi, car chaque jour je peux offrir un beau bouquet à mon épouse. Tu fais la joie de ma maison. Regarde de l’autre côté. Ta compagne, certes, est parfaite, mais que vois-tu ?
– Cailloux, poussière.
– Chacun fait selon sa nature. Ne change rien, ma bonne amie.
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