« La phénoménologie est une branche de la philosophie. Théoriquement très complexe, surtout à lire, très intellectuelle, mais extrêmement accessible et simple à utiliser pour tout praticien thérapeute qui choisit de la pratiquer.
c’est une discipline philosophique opérationnelle très puissante et confortable dans la posture d’accompagnement en relation d’aide, quel que soit les outils utilisés par le praticien. La pratique de cette discipline occidentale s’appuie sur des grands principes initiés théoriquement par des philosophes, physiciens, mathématiciens, psychiatres et chercheurs.

 

Tout d’abord, c’est l’accueil tel que, de ce qui se montre et la description de ce phénomène qui apparaît (mot, image, ambiance, sensation corporelle, sentiment, émotion…), ce qui se montre à l’individu qui le vit, que le praticien repère et peut questionne.

Husserl, une référence incontournable de la phénoménologie, étudie la « réduction phénoménologique » et la force de « l’intentionnalité » : lorsque l’esprit se saisit de quelque chose, il a une intention, connue ou pas, le regard est porté vers cette chose qui se montre. La conscience pose la focale sur ce qui se montre. Il est question de concentrer son attention sur ce qui est focalisé à l’instant présent.

L’acte phénoménologique se déroule à l’instant présent. La tridimensionnalité, valeur spécifique à l’être humain, se vit dans l’ici et maintenant, nous sommes porteurs au présent de notre passé et de notre futur, qui se vivent à l’apparition de phénomènes.

Du coté du praticien, lorsque je donne une intention à une séance, c’est phénoménologique. Le pouvoir de l’intention consciente est très important et s’appuie non pas sur le pourquoi je donne cette intention mais sur « je propose d’aller visiter vers ici et là… et nous verrons les phénomènes qui se montrent pour la personne. C’est un paradigme de pensée différent.

Il y a aussi le principe de « mise entre parenthèse », lorsque par exemple un client arrive après avoir traverser une demi heure d’embouteillages, une journée harassante de travail, il arrive avec tout çà dans notre cabinet. le praticien, volontairement, par la force de l’intention qu’il pose ouvertement, en mots, aide la personne à « mettre de coté » ce avec quoi elle est arrivée, pour l’aider à prendre conscience de l’importance de se rendre disponible à ce qui va se présenter, et par conséquent à de nouveaux phénomènes réorientés sur l’instant.

Pour la suspension de jugement » (epoke), il s’agit là de la « relation noético-noématique » qui permet de se positionner dans une relation de sujet à sujet (relation de rencontre et de responsabilité). Cela apporte un renforcement et un approfondissement de la relation humaniste de relation d’aide d’être à être de Carl Rogers, psychiatre américain contemporain.

La suspension du jugement, c’est à dire « repérer nos jugements, en prendre conscience lorsqu’ils se montrent de manière phénoménologique, et par la force de la volonté, du discernement, les mettre à distance pour mieux se consacrer à l’autre, car ils ne servent pas la relation.

La suspension du jugement est aussi un moyen de percevoir si la relation est « idéaliste », c’est à dire relation de projection, donc moins propice à la rencontre de sujet à sujet. La suspension du jugement amène à laisser de côté les croyances, le « bon sens populaire », les présupposés, de ce qui semble aller de soi, afin de pouvoir librement regarder le phénomène, débarrassé des couches mentalisées.

La posture phénoménologique amène ce principe de regarder les choses « comme si c’était la première fois », de se relier de nouveau à un regard d’émerveillement, comme un petit enfant qui découvre quelque chose pour la première fois, sans y mettre du connu, dans un premier temps du moins, cela favorise l’accès au nouveau regard, c’est un regard d’enfant avec la conscience d’un adulte, favorable à l’ouverture du champ des possibles. Ensuite l’individu y donne du sens, son sens, ou pas d’ailleurs, du moins cela permet d’identifier le phénomène et le sens peut venir plus tard.

 

En phénoménologie, il n’y a pas d’analyse des phénomènes qui se présentent et pas d’interprétation. C’est justement là le coeur de la force de cette posture méthodologique car c’est la personne qui met un sens, elle est évidemment seule à savoir pour elle-même, à être compétente pour elle-même. Cette posture du praticien permet de se relier à de l’humilité. La phénoménologie est un garde-fou du « savoir pour l’autre ». Le phénoménologue aide à repérer les phénomènes et les questionne, ainsi l’accompagné peut prendre le temps de donner du sens pour plus de compréhension de lui même.

Heidegger apporte une dimension existentielle et la notion de temporalité. C’est « l’être et l’étant » (ouvrage de référence du même titre) : le principe est qu’il y a plusieurs possibilités existentielles d’être au monde, d’exprimer l’être que nous sommes, mais il y un seul et unique être. Il y a l’être qui exprime ses étants, incarnation et concrétisation de l’être.
Cette dimension permet l’ouverture. Plusieurs étants sont possibles, ceux connus, puis des nouveaux, qu’on ne connait pas encore et qui ouvre le champ des possibilités, valeurs et des capacités humaines.

la notion de tridimensionnalité apporte une conscience sur cette compétence humaine de porter au présent, son passé et son futur. Ainsi, le temps n’est pas subi comme linéaire « on nait, on vit on meurt » mais comme la puissance de vivre, au même instant, un phénomène présent porteur de tout son passé et de son futur existant ici et maintenant en tant que ressources vivantes actives. L’être humain développe la capacité d' »expansion de la conscience » : être là, corporellement, dans l’ici et maintenant, et en même temps ailleurs, avec la conscience. Cela donne une dimension considérable aux possibilités d’application de l’hypnose. Le corps est limité, la conscience, elle, est illimitée.

Pour Biswanger, il est question de la manière unique que chaque être a d’exister, d’être au monde et de se montrer au monde. Il apporte une autre dimension relationnelle : « si la relation rend malade, alors la relation guérit ». Il estime que nous sommes un tissu de relation et que tout est relation, ainsi la mise en œuvre d’une relation avec soi-même, puis avec autrui, vertueuse, est guérissante si au départ la relation avec soi-même et avec autrui est souffrante. C’est un pilier fondamental de la phénoménologie. C’est une hypothèse de la « dasein analyse » de Biswanger.

 

Aussi, la posture phénoménologique est avant tout une posture relationnelle, c’est ce qui se crée entre deux personnes qui comptent 1 + 1 = 3, c’est cela qui est guérissant, aidant, soutenant, cette troisième entité qu’est la relation et qui a du sens et de la valeur, des valeurs exprimées, des lois du vivant. Nous savons en tant que praticiens la puissance de la relation et l’impact que cela peut avoir sur l’évolution du client et sur la notre. Dans ce principe relationnel, le praticien accepte aussi de changer lui-même au travers de cette relation qui forcément le transformera autant que la personne accompagnée. ainsi, c’est une relation d’égal à égal qui se passe de posture haute ou même basse d’ailleurs, c’est juste la relation, sans niveau requis.

Il y a aussi Merleau Ponty qui met en avant la notion d’historicité : un événement n’est pas inscrit de façon linéaire sur un point du temps, mais s’inscrit dans la globalité du vécu de l’homme. Cela rejoint la tridimensionnalité comme valeur vécue et la pensée circulaire de la vision et du vécu du temps. Cela rejoint les pensées orientales, la loi de l’impermanence à laquelle chaque être humain est soumis.

La phénoménologie apporte cette prise en compte des essences de l’être avec deux notions : par husserl, l’essence définit l’existence de l’être, qui est la structure dernière sans laquelle l’être ne peut exister.
Pour Sarte et Camus, existentialistes, c’est l’existence qui définit les essences.
La posture phénoménologique se sert des deux points de vu sans opposition.
Ces principes ramènent la relation à son essence le vécu dans une consultation : « au bout du bout, qu’est ce que je choisis de garder ? » « Qu’est ce qui est vraiment essentiel pour moi ? » Et de grandes questions plus philosophiques : « quelle est mon essence ? Quelle est l’essence de mon existence ? Quelle est cette chose si précieuse qui fait que je suis, et sans laquelle je ne peux exister ? »

« Quelle est l’essence de l’être humain ? »

L’amour, le corps vivant, les émotions, la conscience de la mort, la conscience du passé et du futur, l’anticipation, le langage, le rêve…….

 

Pour l’application dans la posture d’accompagnement que j’intègre, la phénoménologie apporte :

– relation de sujet à sujet calée sur la relation d’être à être de C.Rogers

-le non jugement ou sa suspension pour ceux repérés, et pour non repérés, l’intention de les suspendre quand même pour regarder l’autre tel qu’il est.

– un nouveau regard, un regard neuf sur une situation, un individu.

– l’accueil inconditionnel, sans analyse ni interprétation

– l’observation du phénomène sans y mettre du connu

– être dans l’ici et maintenant porteur de sa tridimensionnalité

– porter volontairement son attention, concentration, discernement et contemplation (prendre de la distance avec)

– choisir une intention consciente, décider d’une orientation, avec l’absence totale d’intellectualisation de ce qui est vécu ici et maintenant

– faire un pas de côté, observer sous un autre angle de vue, d’un point de vu tridimensionnel.

Avec tout cela, la phénoménologie est aussi une pédagogie transmise au consultant, petit à petit, qui lui permet bien des changements de paradigmes, lorsqu’il adhère à la démarche.

Pour le/les phénomènes; la personne en vit plusieurs, toujours différents, l’important est de l’aider à repérer celui ou ceux dont elle a l’élan de se saisir parmi d’autres, ainsi, elle s’oriente déjà vers un sens, même si elle ne peut l’expliquer dans l’immédiat.

Ensuite, c’est l’acte de langage avec le professionnel qui permet d’affiner et d’aider la personne à mettre de plus en plus de sens.

Le questionnement en phénoménologie peut être orienté vers les sensations, les sentiments, les valeurs, les croyances, les émotions, les perceptions…

Le phénoménologue est naturellement curieux du phénomène qui se montre, comme un enfant, relié à son enfant intérieur, curieux de découvrir quelque chose de nouveau, de neuf, à chaque rencontre, c’est nouveau.

exemple : si une personne dit plusieurs fois « je suis triste je ne comprends pas », et que cela interpelle le thérapeute, c’est un phénomène qu’il choisit de regarder ; de « visiter », et là peut être des questions arrivent, ou des invitations à approfondir.
À ce moment-là, il porte bien mon attention sur ce quelque chose qui émerge, par une possible question. Peut-être un autre professionnel se serait saisi d’encore autre chose… le thérapeute choisit un sens, de sa place d’accompagnant vers l’accompagné, en fonction des phénomènes qui se présentent. Aussi, le thérapeute ne prépare pas à l’avance son intervention, il intervient dans la rencontre, au moment de la rencontre.
Donner du sens serait d’aider l’accompagné à reconnaître ce qui est important pour lui, ce qui l’aide ou pas, ce qu’il a envie de garder ou pas, de changer, de faire évoluer, le sens est aussi un moyen de se positionner, d’être responsable, d’avoir accès aux besoins fondamentaux, en être autonome et libre de choix, de prendre une décision, c’est ainsi de la clarté qui s’installe ».

Muriel Quilichini – 2015